Le 16 mai 2011

Michel Goulet, planteur de chaises

Delphine Naum

Sculpteur et scénographe de renommée internationale, Michel Goulet innove depuis 30 ans. Il était déjà récipiendaire du prix Paul-Émile-Borduas, et on vient de lui décerner le Prix du Gouverneur général en arts visuels pour couronner l'ensemble de son œuvre. Rencontre avec un artiste de l'Estrie, diplômé de l'UdeS, dont l'œuvre enrichit le monde.

Michel Goulet a travaillé aux États-Unis et en Europe. Au moins 25 villes dans le monde comptent l'une de ses œuvres publiques : il a signé Les lecons singuières 2, œuvre intégrée à l'environnement du parc La Fontaine, à Montréal (1990); Les lieux communs, à Central Park, à New York (1990); et Le jardin des curiosités, une œuvre réalisée à Lyon avec l'aide de deux collaborateurs.

À New York comme à Toronto, il a été le premier sculpteur québécois à installer une œuvre à l'extérieur. À Toronto, se trouve Fair Grounds, qui est constituée de 16 mâts garnis de fanions et de 8 chaises en acier galvanisé. À Québec, à l'occasion du 400e anniversaire de la ville, Michel Goulet a conçu l'œuvre Rêver le nouveau monde, installée devant la Gare du Palais. C'est le cadeau de Montréal à la capitale. Dans son atelier du Plateau Mont-Royal, l'artiste a fabriqué 40 chaises qui brillent de manière contrastée dans le paysage de la ville historique.

Le sculpteur originaire d'Asbestos a assis sa réputation sur des œuvres publiques imaginées autour de la chaise. Ses sculptures en acier inoxydable, facilement reconnaissables, ont parfois provoqué des polémiques, comme à Montréal, sur la rue Roy : à l'époque, elles avaient remplacé un stationnement.

Une œuvre en trois dimensions

Suzanne Pressé, coordonnatrice des expositions et de l'animation à la Galerie d'art du Centre culturel de l'Université de Sherbrooke, observe le travail de l'artiste depuis plusieurs années. «C'est Michel Goulet qui est allé le plus loin dans la connaissance des matériaux et de l'installation permanente des œuvres de l'art public. Il a contribué à faire aimer l'art contemporain, qui est souvent perçu comme une forme d'art hermétique», explique-t-elle.

Les spectateurs s'approprient toujours les œuvres de Michel Goulet, la plupart du temps parce qu'il y a un contact physique avec celles-ci : ils peuvent les toucher et même s'y asseoir. Ses chaises ne sont jamais l'objet de vandalisme, ce qui est significatif pour Suzanne Pressé : «Il y a des gens qui l'aiment parce qu'on reconnaît le motif de la chaise; “Ah, c'est un Michel Goulet!”, D'autres pourraient lui reprocher de reprendre à répétition cette idée.»

Michel Goulet commente : «Il n'y a pas une façon de voir les choses ou de les faire. Il y en a tellement que c'est presque à la limite de ce qu'on peut comprendre.» Jennifer Macklem, sculpteure, professeure à l'Université d'Ottawa et ancienne élève de Michel Goulet, témoigne de son influence : «Michel Goulet a réactualisé le rôle du spectateur dans ses œuvres.» C'est elle qui a proposé la candidature du sculpteur pour le Prix du Gouverneur général, distinction la plus importante offerte à un artiste à l'échelle canadienne. «Je ne fais pas les choses pour avoir les prix. Mais ce prix a de l'importance, car quelque part quelqu'un connaît mon travail dans le reste du Canada», ajoute humblement Michel Goulet à propos de la récompense qu'il a reçue à Rideau Hall en mars dernier et qui est assortie d'une bourse de 25 000 dollars.

Nulle part ailleurs

En 2002, Suzanne Pressé travaillait au Musée des beaux-arts de Sherbrooke au moment où l'institution a consacré une exposition à l'artiste. Michel Goulet a lui-même travaillé à l'installation de ses célèbres chaises en acier inoxydable, sa signaure artistique. L'œuvre a d'abord été présentée dans le stationnement du Musée des beaux-arts de Sherbrooke, rue Dufferin, avant d'être réinstallée au bord du Lac des Nations. Concentré sur sa tâche et les cheveux en bataille, l'artiste a déballé ses chaises une à une, avant de les offrir comme des bijoux aux passants curieux de voir un stationnement se transformer en salle d'exposition en plein air. Michel Goulet, lui, jubilait. Il se trouvait alors au cœur de l'endroit qui a marqué le départ de sa vie d'artiste.

À 20 ans, en 1966, entre ses cours de latin au Séminaire de Sherbrooke, Michel Goulet organise des expositions et des pièces de théâtre, ainsi que des soirées de poésie au centre-ville de Sherbrooke. Il partage un appartement avec des amis sur la rue Alexandre. Et il participe à la semaine des arts organisée par l'Université de Sherbrooke. Il est grandement influencé par Claude Lafleur, le fondateur de la Galerie d'art de l'Université de Sherbrooke.

Après son cours classique à Sherbrooke, il s'inscrit à l'École des beaux-arts à Montréal, et c'est là qu'il découvre la sculpture. Il en tombe pour ainsi dire instantanément amoureux. Puis, c'est une participation à la Biennale de Venise et l'obtention du prix Paul-Émile-Borduas. Il redécouvre ensuite la scénographie dans les années 90 et travaille à la réalisation de décors pour des spectacles du Théâtre Ubu, qui ont raflé cinq prix, dont quatre Masques. 

Depuis l'obtention du prix Paul-Émile-Borduas, en 1990, Michel Goulet doit composer avec la célébrité, car sa renommée s'est intensifiée. L'artiste avoue subir le fait d'être connu et reconnu comme une terrible pression : «Je ne serai jamais où on m'attend. Ça crée un problème parce que ça m'oblige à choisir des sentiers où les gens pensent que je n'irai pas. L'attente est la pire des pressions, parce que je veux être vivant, ne pas rentrer dans un moule. Et pour ça, il faut vivre autrement. Sans faire de l'art, je me sentirais complètement inutile dans la vie. Je ne suis fait que pour ça.» Parions que le sculpteur saura encore nous surprendre là où on ne l'attend pas.

Des chaises habitées

Cette œuvre publique de Michel Goulet, installée au bord du Lac des Nations, à Sherbrooke, est composée de 20 chaises uniques en leur genre. Ornées des mots de Luc LaRochelle, un ami de jeunesse de l'artiste, les chaises sont orientées vers le mont Orford.